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 Ils ont tué Noël

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mysanthropos
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MessageSujet: Ils ont tué Noël   Ils ont tué Noël Icon_minitimeMer 3 Déc - 20:27

Ils ont tué Noël
Jess Kaan


Ils ont tué Noël Sans_t13

*

Le feu a la voix d’un maître. Lorsqu’il se convulse tel un animal sorti des rets
censés l’emprisonner, vous restez à le fixer, silencieux, comme si le fait de parler en
sa présence pouvait être perçu comme une offense. Comme si vous craigniez
soudain qu’il se dédouble et vous emporte en son coeur ardent. Le feu impose le
respect. Héros ou foules silencieuses, nul ne l’impressionne. Il s’érige en mur
infranchissable et tue la pensée dans l’âme.

L’image de ces gens massés sur la place, de leurs visages impassibles devant le
brasier, je la garde en moi, inscrite à l’encre indélébile de la conscience qui s’éveille.
Pas une clameur, la résignation partout. Ainsi naissent les ères de malheur… Et à
mesure que mon regard parcourt cet agrégat de personnes disparues maintenant,
ces souvenirs qui me hantent toujours, je sens l’odeur de l’essence et de l’étoffe
montant dans l’air en même temps que des cendres volettent dans la froidure
hivernale.

Ma mère presse ma main fermement, un contact qui vaut toutes les paroles de la
terre. La géhenne n’en finit plus de dévorer ces costumes rouges où parfois une
barbe se perd, insolite cocon. Le Père Noël est mort, ainsi en a décidé l’assemblée
après proposition du gouvernement. Désormais, les symboles de cette célébration
doivent être bannis de nos magasins, de nos maisons, de nos coeurs.

Je me revois parmi ces adultes : j’ai neuf ans et une unique certitude, cette année
je ne fêterai pas Noël. Je n’en ai pas bien compris les raisons ; ce que je sais c’est
que la milice y veillera. L’instituteur nous a expliqué : “ Quiconque ira à l’encontre de
la loi sera sévèrement puni et cela vaut pour les enfants.” ; j’entends encore ses mots
compliqués qui résonnent aussi sûrement que la voix gutturale d’un monstre dans
des catacombes. Comme tous ses collègues dans toutes les écoles du pays, il a lu
un texte du Ministre. Mais je n’ai pas suivi, j’écoutais mon voisin Benjamin. Lui, il me
racontait qu’il avait vu un Père Noël de la rue emmené par des policiers violents.
Alors le texte du Ministre, sur la place, il a tout d’un vague souvenir… Les paroles de
mon père m’ont davantage affecté.

— On va jeter les CDs avec les chansons de Noël, comme ça nous n’aurons pas
d’ennuis ! Et je te défends de ramener la moindre décoration à la maison, sinon…
Des roulements de tambour précèdent l’apparition des enfants contre Noël.
Cheveux ras, visages souriants, ils défilent au pas cadencé, fiers dans leurs
uniformes verts et bruns. Un caméraman les suit et les images qu’il capture
apparaissent aussitôt sur un écran géant, volonté d’éducation de la foule. Le premier
des garçons porte dans les mains un bonnet rouge, son suiveur un lutin en bois, le
troisième un sapin en plastique. En passant près du feu, ils les lancent sous les
vivats de quelques membres de la coalition. Noël ne survivra pas à cette alliance
politique, ils en sont persuadés…

Aujourd’hui, je sais que ce feu sur la place a longtemps couvé. Les multiples
foyers ne brûlaient pas alors car ils avaient encore apparence humaine. Ces brasiers
endormis réclamaient juste le droit de faire valoir leurs arguments. “ Un droit
fondamental ” disaient-ils de concert. Un droit dénié et ils citaient alors les Profiteurs
de Noël.

Tout est né de ce divorce entre deux mondes.

D’un côté, ces vitrines exubérantes, tapageuses, cette ode à la consommation et
à la fête la plus voyante possible ; de l’autre ces groupes qui entendaient détruire le
système qui les maintenait dans la frustration. Plus que tout autre moment de
l’année, Noël renvoyait à la misère quelle que fut sa forme. La célébration cristallisait
les haines. Noël n’était-il pas davantage une insulte qu’un moment de partage ?

Les épines des sapins blessaient l’étranger comme la couronne d’épines qui
ceignait la tête du Christ. Chaque dinde, chaque boîte de foie gras perpétuait la
souffrance animale. Quant aux jouets, ils n’étaient plus des cadeaux, mais l’aval
donné à une économie destructrice. Esclavage moderne, intolérable. Les mots
s’entendaient dans la rue et instillée, la mauvaise conscience remplaçait peu à peu la
simple prise de conscience.
**

Tuer Noël.
Le slogan apparut bientôt entre les tags et sur la toile numérique, dans les bacs à
CD également. Au début, il émanait d’un groupuscule, vite mis hors-la-loi pour son
caractère outrancier. Puis il se répandit, trouvant ici et là des guerriers en quête de
cause à embrasser. Frapper le père Noël du centre commercial, incendier la crèche
de l’église, jeter des pavés sur les maisons décorées, couper des sapins, autant
d’actes que les journaux refusèrent de rapporter pour éviter toute émulation. Et
devant le silence général, l’exception se normalisa. Les rangs des guerriers obscurs
grossirent.

Ainsi naquit la coalition.

Elle agit prudemment au début, sous couvert de respect et de droit. Une
interdiction ici et là, elle testa ses adversaires. Perdit quelques procès, en gagna
d’autres. Puis elle se lança dans la bataille politique jusqu’à appuyer un régime
chancelant, son ennemi d’hier. Dès lors, sacrifié sur l’autel des intérêts personnels,
Noël n’avait plus beaucoup de chance de survivre.

Personne ne croyait à cette loi, mais personne ne s’y opposa vraiment. Et Noël
mourut en quelques années.

Les sapins et les crèches furent les premiers bannis. Personne n’y trouva à
redire. Protéger les sapins, c’était sauver l’environnement et puis l’état offrait une
compensation aux horticulteurs. Bannir les crèches, c’était éviter un sujet de
discorde. La religion attise les fanatismes, cela est bien connu. L’année suivante, des
campagnes de publicité invitèrent à consommer nouveau. A ne plus subir le poids de
la tradition, ce terme aux sous-entendus mesquins. Conditionné, personne ne
protesta et puis l’état indemnisait les éleveurs et les ostréiculteurs. L’argent rachetait
des comportements honnis désormais. De quelle injustice leurs auteurs auraient-ils
pu se plaindre ? D’ailleurs avaient-ils le droit de se plaindre ?

Mais Noël survivait toujours.

Les marchands perpétuaient cette fête à grands renforts de publicité, de
nouveaux symboles et par dessus tout grâce à ce bonhomme replet à l’uniforme
rouge.

L’année de mes neuf ans, le Père Noël fut donc déclaré hors-la-loi. Curieusement
l’indignation ne mobilisa pas les foules. Pris dans l’étau des culpabilités suscitées,
coincés dans des vies banales et difficiles, nos parents crurent que la volonté de la
coalition ne balaierait pas des siècles de célébration. Malheureusement, pour nous,
les dictatures régissent des vies en s’appuyant sur les lâchetés individuelles. Et Noël
se vit porter le coup de grâce.

Le brasier sur la place représentait le summum de ce mouvement qui, lentement,
s’était imposé. Les autorités contrôlèrent les moyens de communication afin de
s’assurer qu’aucune influence pernicieuse ne viendrait remettre en cause sa
révolution.

Noël n’existait plus, l’égalité rassemblait enfin les hommes. Un jour de gloire pour
la coalition.

Le vide laissé par cette fête devait être comblé et le nouveau régime décréta la
journée du partage absolu, un ensemble de célébrations à sa gloire avant tout… Il
est un temps où les tyrans entendent jouer aux pères. Sans doute parce qu’ils
craignent la colère sans fond des orphelins.
***

Sept années s’écoulèrent durant lesquelles la répression s’abattit sur les derniers
récalcitrants. Dénonciations et perquisitions débusquèrent les ultimes vestiges de
Noël, tandis que les magasins s’accommodaient de la journée du partage absolu, un
succédané de fête à l’insipidité prononcée.

Mais les coeurs purs ne cessent jamais de battre. Il en est toujours un quelque
part, prêt à commémorer le souvenir de la Lumière, y compris lorsque les Ténèbres
nous écrasent et paraissent notre seul avenir. L’histoire apprend à les connaître, ils
deviennent alors les héros dont nul n’ignore rien et leur souvenir se perpétue dans la
légende des siècles. Celui-là portait un nom qui signifie ange en langue gaélique ; il
s’appelait Aël. Il avait à peine huit ans, de longs cheveux blonds qui cascadaient
sur des épaules trop maigres et une peau marmoréenne, à l’image de ces angelots qui
hantent les cimetières.
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MessageSujet: Re: Ils ont tué Noël   Ils ont tué Noël Icon_minitimeMer 3 Déc - 20:34

Aël détestait les miroirs car ils lui renvoyaient l’image de sa lividité.

“ Malade, hurlaient-ils sans relâche. Tu es malade, condamné mon pauvre
garçon.”

Ce n’étaient pas ses pyjamas aux couleurs vives qui auraient pu chasser les voix
fantomatiques du verre. Aël était un enfant, pourtant il voyait en adulte. Il n’ignorait
pas que la mort le guettait. Attentive et patiente, elle viendrait le chercher comme elle
avait emporté le Petit Dauphin dans le conte. Aucun soldat, aucun amour ne
l’entraverait. Ce n’était pas une injustice aux yeux de l’enfant, ni un acharnement du
destin, mais un simple coup du sort. Alors Aël restait chez lui, il passait ses journées
à lire et à relire certaines histoires et des contes, toujours les mêmes…

Puis il trouva ces livres que son libraire de père avait dissimulés dans le mur de la
cave, non par intérêt financier, mais par un amour sincère de la littérature, cette
bouffée d’humanité. Et Aël les dévora, les uns après les autres. Emerveillé.

Tous parlaient de Noël, la fête interdite, de la visite d’un étrange homme en rouge
aux bambins du monde entier. Il rêva longtemps devant les illustrations montrant ces
moments heureux où les petits ouvrent des cadeaux que le vieillard a déposés au
pied du sapin. Il s’imagina à la place de ces enfants, le coeur battant tandis qu’ils
déchirent le papier et ôtent le bolduc qui crisse de façon énervante sous les doigts.
Sur les tables, Aël ne voyait pas des dindes engraissées, mais des familles unies
partageant un véritable instant de fraternité. Un moment de chaleur qui émane du
coeur. Noël représentait un bonheur incommensurable à ses yeux.

Aussi chaque jour descendait-il à la cave. Il feuilletait ces livres avec respect et à
mesure que l’hiver approchait, le coeur d’Aël se serrait. Lorsque la neige tomberait, si
jamais elle venait à tomber, Noël demeurerait un moment glacé sur quelques pages.

Qui, à part lui, connaissait l’existence de cette fête ?

Les adultes ? Oui, mais ils l’avaient remisée dans un coin de leur esprit où ils
l’avaient oubliée. La peur les gouvernait, ainsi allait le pays.

Afin de ne pas susciter la colère de son père, Aël n’évoquait jamais les ouvrages.
Il se contentait d’attendre le moment propice, de descendre les cinq marches menant
au sous-sol et de desceller les pierres cachant son inestimable trésor. Un effort
source de plaisir. Puis il savourait ces instants de retrouvaille. Hélas chaque jour sur
le chemin de Noël, le mal qui le rongeait alourdissait ses pas, rendait ses
mouvements plus pénibles.

Souvent, Aël pensait à la Faucheuse. Revêtirait-elle une apparence aimée pour
venir le cueillir ? Qu’avait vraiment ressenti le Petit Dauphin en l’attendant ? Avait-il
été aussi valeureux que le prétendait le conteur ?

Aël avait pensé se défaire de la peur, mais la sensation était revenue peu à peu,
insidieuse. Bien qu’inéluctable, la mort le terrifiait. Tant d’incertitude le guettait. Tous
ses mots, toutes ses craintes, il essayait cependant de les garder en lui. Pourquoi
inquiéter vos proches quand votre sort est scellé ? Puis il y eut cette triste journée où
ses jambes refusèrent de le porter jusqu’au bas des marches.

Le malaise, un émissaire de la Faucheuse, le prit et il s’effondra.
****

Lorsque son père le trouva, il crut que c’en était fini. Pourtant, l’homme refusa de
se soumettre à cette morne réalité et certains disent qu’il conduisit lui-même Aël
jusqu’à l’hôpital. On plaça l’enfant sous perfusion, on lui administra divers calmants
censés atténuer la douleur et l’abrutir en vue de l’issue finale, mais il tint bon.

Dehors, l’hiver approchait à grands pas. La brume se leva dans les villes ; les
braseros chauffèrent les rues et les visages des pauvres s’assombrirent davantage
encore.

Les médecins doutaient qu’Aël survive à l’année.

Une source de douleur inextinguible pour son père. La perspective de cette
séparation le plongeait dans un maelström de sentiments où la culpabilité tenait une
place de premier ordre. Si Aël souffrait, c’est parce qu’il avait dû commettre une faute
grave. Comme si le monde avait besoin de rééquilibrage pour continuer de tourner…
Assis au chevet de son fils mourant, le libraire priait tous les dieux de la terre.
Qu’un miracle épargne sa chair. Qu’on le prenne, lui, et qu’on laisse l’enfant ! Hélas
les examens médicaux confirmaient l’avidité du mal. Peu à peu, la vie désertait son
petit.

Curieusement cependant, une étincelle continuait d’animer ce corps livide et
amaigri. Etait-ce son âme qui refusait de s’éteindre ? Rebelle, elle osait se révolter,
se dissocier de cette biologie détraquée.

Jours après nuits, l’hiver arriva. Les yeux fermés, plongé dans un sommeil
narcotique, le petit délirait, il parlait de ce trésor qu’il avait entrevu. Les livres interdits
l’obnubilaient. Il n’avait de cesse d’évoquer la venue prochaine du Père Noël.

Et le père écoutait avec la gorge nouée. Il revoyait les Noëls de son enfance, ces
instants attendus avec ferveur. Ces jours de joie et de doute aussi. Noël, un
recommencement possible, le soir où les volontés paraissent se reforger après la
tristesse automnale.

Quand Aël se réveilla le 22 décembre au matin, qu’il marcha quelques pas, son
père crut que la maladie le laisserait vivre jusqu’à ce qui avait été le jour érigé en
naissance du Christ, cette ancienne fête païenne que jadis on nommait Jöl.

L’enfant lui parla d’un rêve curieux et ouaté. Dans ces instants hors le temps, le
Père Noël lui avait dit qu’il viendrait le visiter. Le père fut pris d’effroi. Il redouta que la
mort se soit parée d’un masque apaisant. Mais il se ressaisit. Pourquoi voir noir dans
la lumière ? Et s’il s’agissait d’un présage heureux ? Il se prit à rêver et son
enthousiasme se mua en l’envie d’offrir à son fils une illusion de ce bonheur
entr’aperçu.

Comme la plante trouve le moyen de percer la terre et de se dresser devant le
soleil, le plan germa dans sa tête malgré les barrières érigées par la coalition. Le
père d’Aël acheta des étoffes sur des marchés de la cité, dans des magasins ; pas
suffisamment pour qu’elles attirent l’attention des autorités.

Dans le sous-sol de sa boutique, aidé par des voisines de confiance, de véritables
fées, il commença à coudre les boutons dorés sur le costume rouge qu’ils avaient
assemblé. Des coussins quittèrent le salon et se muèrent en rembourrage.

Des paquets de ouate auraient pu former une barbe postiche. Pourtant le père
préféra récolter des touffes de cheveux chez un coiffeur de sa connaissance.
Lentement, il sépara les poils, les coupa, les colla jusqu’à donner à son oeuvre
l’illusion de la réalité. Le plus difficile fut de trouver les bottes et la hotte, ces
accessoires sans lesquels le Père Noël n’aurait pas l’air d’un homme de peine, voué
à satisfaire ses semblables.

Mieux que les vêtements, les chaussures reflètent nos personnalités ; elles sont
aussi traîtresses que les mains qui échappent au contrôle de la volonté. Deux jours
durant, le père d’Aël chercha comment il impressionnerait son fils. Son bonheur, le
hasard le trouva pour lui, dans le grenier d’un vieillard juste décédé.

Appelé par des héritiers désireux de se débarrasser de cartons entiers de
bouquins, le père d’Aël découvrit des vêtements de théâtre. Plus que des
rayonnages entiers de bibliothèque, bottes de sept lieues et hotte de ramoneur
constituèrent son butin ce jour-là.

Après cette besogne, l’homme retourna auprès de son fils. Il lui promit que tous
les rêves deviennent réalité pourvu que l’on y croit avec ferveur. Aël l’écouta raconter
des histoires de Noël et les images de ce bonheur d’autrefois explosèrent dans sa
tête, des visions de félicité qui le réchauffèrent aussi sûrement qu’une bûche dans
l’âtre de la cheminée.

Quand son père l’eut quitté ce soir-là, Aël était en paix, prêt à accueillir la
Faucheuse. Il ne se doutait pas que son papa adoré avait rassemblé les éléments de
son déguisement. Des âmes généreuses l’avaient aidé à ramener l’ensemble à
l’hôpital.
*****

Toujours est-il que le 24 décembre au soir, le père d’Aël ne quitta pas l’hôpital
après la fin des visites. Il entra dans une chambre vide où il enfila son costume avec
la ferveur qui sied aux rêveurs. Puis il remonta le long couloir conduisant à la
chambre de son fils.

Son coeur battait la chamade. Il craignait que, malgré tous ses efforts, le petit le
reconnaisse. Il tambourina à la porte, puis alors qu’une voix faible répondait de
l’autre côté, il pénétra dans la chambre où il joua son rôle à la perfection.

L’enfant n’y vit que du feu. Un petit cadeau –un coffret de bois sculpté au nom de
boîte à rêves - sortit de la hotte, alla rejoindre la main du gamin. Aël vécut Noël et ce
que cette fête évoquait autrefois, ce mélange d’appréhension, de joie attendue et
d’espoir.

Il écouta le père Noël lui parler de son travail harassant. En retour, le gosse lui dit
combien il croyait en lui depuis la découverte des livres, combien son papa serait
époustouflé lorsqu’il lui confierait cette rencontre surprenante. La main gantée du
faux vieillard s’attarda sur le visage de pâleur. Ses doigts trempés sous le cuir
caressait la peau du petit avec une tendresse absolue, une voix devenue
chevrotante lui parlait d’avenir. Tandis que le Père murmurait ces mots venus du fond
de son coeur, des larmes glissaient sur son visage.

Aël sut alors que le miracle s’était produit. Bien qu’enfermé dans le cachot
d’étroitesse de l’esprit des hommes, le Père Noël et son cortège de symboles
survivait quelque part… L’enfant regarda le bonhomme s’éloigner. Quand la porte se
referma, ses pensées continuaient d’accompagner le vieillard dans sa longue
tournée à travers le monde.

Aël n’entendit pas l’agent de sécurité invectiver son visiteur. Il ne l’entendit pas
non plus le menacer, puis le prendre à parti dans un couloir surveillé par les yeux de
glace de plusieurs caméras. Certains disent que le père tenta d’expliquer les raisons
de son geste ; d’autres prétendent qu’il ne s’abaissa pas à cette mascarade. Après
tout, l’amour d’un père pour son fils et ce qu’il implique n’ont pas besoin d’être
justifiés.

En revanche, les rares témoins s’accordent à dire que la vitre de l’étage vola en
éclats quand le vigile poussa le père d’Aël au nom de la coalition et de la loi.

Le reste n’est pas paroles, mais kaléidoscope d’images. Du sang s’écoulant d’un
costume rouge que portait un homme au sourire ardent, des flocons de neige qui
tombent et recouvrent un cadavre encore chaud, vision d’un petit corps livide qui se
tient à l’étage de l’hôpital dans un pyjama aux couleurs vives et hurle de douleur,
guéri mais meurtri.

Et ces images abattirent les barrières érigées par quelques esprits humains.

Lorsque la nouvelle de la tragédie et de la guérison miraculeuse d’Aël furent
connues, la société se réveilla. Des sapins de peinture recouvrirent les murs des
cités devenues austères. Des bougies s’allumèrent aux coins des rues, déposées par
des mains invisibles. Des guirlandes de papier crépon décorèrent les arbres et les
lampadaires. Et dans plusieurs églises, les chants interdits s’élevèrent à nouveau.
Puis ils gagnèrent la rue où ceux qui avaient connu Noël osèrent enfin redescendre.

Devant eux, les cordons de policiers s’écartèrent, frappés par la pureté de cet
amour qui émergeait comme une vague de chaleur opposée à la glace de la
politique. Et les ténèbres qui s’étaient abattues sur le pays s’effilochèrent.

La coalition appela ses troupes au sursaut, elle ne rencontra que le mépris de la
masse et la défection de ses guerriers. Tuer un père qui avait voulu apporter un peu
de bonheur à son enfant mourant, au nom de quelle lâcheté avait-on pu tolérer
semblable régime ?

De partout, les pères Noël affluèrent. Et l’histoire d’Aël éclaira les faces mornes
des soumis, réveillant leur envie de croire en la magie de ce jour. On vit des tables se
dresser dans les galeries commerçantes des supermarchés ; on vit des anonymes
offrir du pain et quelques victuailles à de parfaits inconnus. On vit aussi l’esprit
humain libéré du carcan de la dictature.

— Ils ont tué Noël, criait une vieille femme. Mais ce n’était pas l’esprit de Noël.
Celui-là, nous l’avons enfin retrouvé. Au diable les marchands, au diable les tyrans !
Aimez Noël !


J’étais présent ce soir-là et j’ai reçu de modestes cadeaux, de petits coffrets de
bois vernis dans lesquels le mot espoir reposait sur un lit de satin rose. J’ai regardé
autour de moi. Les bureaux de la coalition brûlaient et le souvenir du feu sur la place
ne m’a plus quitté. Il suffirait d’un rien, de quelques prétextes, pour que Noël
disparaisse à nouveau. J’espère que le temps n’effacera pas de nos consciences le
souvenir de ces tristes années où nous ne pûmes célébrer cette fête parce que
certains l’avaient dévoyée.

Je finis de sculpter le petit coffret et je le prépare pour mon petit fils. Demain, le
Père Noël le lui apportera et tous ses rêves se réaliseront, j’en suis persuadé. Noël
est au fond de nous, de chacun d’entre nous.

Une richesse éternelle, un trésor à partager avant tout.

Joyeux Noël à vous !


FIN
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